Monnaie et écologie : 12 règles monétaires pour une économie durable
Monnaie et écologie
12 règles monétaires
pour une économie durable
On est tellement habitués à vivre avec la monnaie qu’on a bien du mal à avoir conscience de toutes ses dimensions et des conséquences des règles auxquelles on est habitués.
Ainsi… on raconte souvent que la monnaie sert à faciliter les échanges !... En fait, cette vision des choses est en réalité très réductrice et elle crée un imaginaire dans lequel on échange des biens ou des services préexistants, comme sur le Bon Coin. C’est d’ailleurs cette vision qui a inspiré le créateur de la G1 (aussi appelée "monnaie libre"). Or une économie, c’est en fait d’abord et avant tout des entreprises et des administrations qui produisent des biens ou proposent des services pour répondre à des besoins ou satisfaire des plaisirs. Et pour cela, il faut bien souvent des lieux (un local, des bureaux, une usine, etc), des outils, des machines, des véhicules, etc. Et pour se procurer tous ces biens mobiliers et immobiliers indispensables à toute production de biens ou de services, il faut… de l’argent. Et bien souvent beaucoup, beaucoup d’argent. Même chose pour la construction de logements, qui coûte très cher. C’est pourquoi, le principal problème lié à la monnaie, c’est le financement, les systèmes de financement, les règles de financement. Ce sont d’ailleurs ces règles de financement qui déterminent en grande partie le fonctionnement de l’économie, sa dynamique, le comportement des différents acteurs économiques entre eux et vis-à-vis de leur environnement. En clair les règles de financement ont un impact déterminant sur l’Humanité et sur la Planète.
Quelles sont les principales règles de financement de l'économie ?
- qui crée la monnaie ? qui la détruit ?
- quel rôle joue l’épargne ?
- comment peut-on financer une entreprise ? en empruntant ? en émettant des actions ? des obligations ? les parts de société peuvent-elles être facilement revendues ?
- comment se finance l’Etat ? par l’impôt ? l’emprunt ? sur les marchés financiers ?
- comment se financent les banques ? par un taux d’intérêt sur les crédits bancaires ? par la facturation de frais ? par des placements financiers spéculatifs ?
Toutes ces règles ne sont que des règles du jeu qui pourraient être modifiées, en fonction des objectifs que l’on poursuit et des résultats obtenus. Et qui devront l'être pour des raisons écologiques..
Quels sont les objectifs à atteindre ?
Parmi les objectifs qu'on doit poursuivre, il y a :
- La satisfaction des besoins actuels, ce qui implique l’absence de pénuries pour subvenir aux besoins essentiels et un pouvoir d’achat suffisant pour tous
- La satisfaction des besoins futurs et donc la préservation des ressources, de la biodiversité et du climat pour les générations à venir (c'est la dimension qui manque totalement aujourd'hui dans les règles du système monétaire)
Pour atteindre ces objectifs, il faut garder en tête quelques éléments fondamentaux.
- Inciter à travailler pour éviter les pénuries
Le premier élément, c’est que la monnaie est un puissant système de motivation et d’incitation à produire : on se lève le matin et on va travailler pour gagner de l’argent et nourrir sa famille, et ce faisant on rend un service à la société et donc à nous-mêmes. Autrement dit, l’argent permet de satisfaire nos besoins non seulement parce qu’il permet d’acheter des choses mais aussi parce qu’il oblige une partie de la population qui a entre 18 et 65 ans à travailler. C’est un aspect essentiel qu’il ne faudra pas perdre de vue si par exemple on établit un revenu de base. Pour moi, ça fait partie des règles de base de la monnaie qu’il ne faudrait surtout pas oublier, qu’on soit dans une économie de croissance ou dans une économie durable.
- Concevoir un système de rémunération plus juste
Le deuxième élément, c’est que la monnaie est censée établir un certain équilibre entre ce que l’on donne et ce que l’on reçoit, entre le service que l’on rend à la société et la rémunération que l’on perçoit pour cela. Ça correspond notamment à la question du prix juste, de la rémunération juste et du commerce équitable. En réalité, cette règle est très difficile à respecter, pour de multiples raisons (et notamment parce qu’il y a des modes de rémunération très différents entre les salariés, les professions libérales, les commerçants, les chefs d’entreprises, mais aussi parce qu’il y a des tas d’allocations qui sont versées pour d’excellentes raisons). Néanmoins, ça reste une règle fondamentale qui doit guider le choix des règles qui en découlent (avec de nombreuses exceptions parfaitement justifiables).
Le problème, c’est que, dans le système actuel, cette règle est particulièrement malmenée par les revenus issus des placements financiers (qu’ils proviennent de taux d’intérêt ou de plus-values réalisées sur les marchés financiers ou immobiliers), qui génèrent des inégalités complétement délirantes et sans aucun rapport avec la contribution apportée à la société. En clair : les placements financiers ne respectent pas le contrat de base qui dit que l’argent est censé être le fruit du travail et que chacun doit percevoir de l’argent en fonction de sa contribution. En ce sens, il est d’ailleurs totalement incohérent d’autoriser à gagner de l’argent sans travailler (grâce aux revenus issus de placements financiers) tout en obligeant les chômeurs à retrouver du travail, sous peine de perdre leurs allocations. On voit bien qu’il y a là une incohérence dans les règles du jeu, incohérence à laquelle on s’est habituée en raison du rôle que joue aujourd’hui l’épargne dans le financement d’une économie en croissance.
Quoi qu’il en soit, la recherche de la juste rémunération devra rester une règle de base dans une économie durable. Et c’est aussi pour cela qu’il est essentiel d’établir un salaire minimum et un nombre d’heures de travail hebdomadaire, qui font partie des règles de base du bon fonctionnement d’une économie.
- Interdire un solde négatif pour pouvoir établir des prix
Le troisième élément, c’est qu’on a besoin de règles du jeu pour établir les prix : bien sûr il y a le salaire minimum qui est déterminant, mais il y aussi la règle des faillites et l’interdiction de solde négatif. En effet, si les entreprises avaient le droit d’avoir un solde très négatif sur leur compte, elles pourraient établir des prix extrêmement bas (de l’ordre de quelques centimes) sur tous les biens et services qu’elles vendraient. Et il va de soi que si nous avions tous le droit d’avoir un compte très négatif (sans limite), nous n’aurions plus d’incitation à gagner de l’argent. Par conséquent, sauf preuve du contraire, cette règle de l’interdiction du solde négatif devra être conservée, même si un système de comptabilité en crédit mutuel peut très bien fonctionner à petite échelle, pour un petit nombre d’échanges, comme c’est le cas dans les SELS.
Bien entendu, tout cela mériterait d’être plus largement débattu, mais il me semble que ces trois règles de base du système monétaire (incitation à travailler, rémunération juste, interdiction de solde négatif) ne me semblent pas poser de problème majeur pour satisfaire durablement les besoins humains et j’imagine qu’elles seront probablement conservées, voire renforcées pour ce qui est de l’équité.
Mais les règles du système monétaire actuel n’ont pas seulement pour objectif de satisfaire les besoins humains, elles contraignent aussi la société dans son ensemble à faire de la croissance à tout prix, quitte à dévaster son environnement.
Soyons clairs : si la croissance était le résultat de la création de nombreux emplois écologiques, ce ne serait pas un problème ; mais en l’occurrence, les règles du système monétaire obligent de très nombreux acteurs à accroître leur chiffre d’affaires et leurs bénéfices par tous les moyens, sous peine de faillite, sans aucune considération pour leur impact écologique.
Quelles sont ces règles qui obligent à faire de la croissance de façon systémique ? Il y a les taux d’intérêt, les marchés financiers et la rémunération de l’épargne.
En analysant l’ensemble du système monétaire et financier, j’en suis donc arrivé à la conclusion qu’il allait falloir changer un certain nombre de règles pour aller vers une économie durable.
- Supprimer les marchés financiers
Il va falloir supprimer les marchés d’actions qui poussent l’ensemble des entreprises cotées à faire un maximum de bénéfices et donc de la croissance pour attirer les actionnaires qui peuvent à tout moment revendre leurs actions et en racheter d’autres.
Il va falloir arrêter de financer l’Etat par le marché obligataire, car ça l’oblige à promettre de la croissance à court, moyen et long terme pour pouvoir payer les intérêts et rembourser les obligations à des investisseurs qui, à tout moment peuvent revendre leurs obligations et réinvestir leur argent dans d’autres titres, voire dans d’autres pays.
- Arrêter de rémunérer l'épargne
Il va falloir arrêter de rémunérer l’épargne parce que cela oblige les entreprises et les banques à promettre de la croissance. En outre cela accroît les inégalités. Au passage, le fait de ne pas rémunérer l’épargne est un excellent moyen de réduire les inégalités, dès lors qu’il y a un peu d’inflation.
- Se passer de l’épargne des ménages pour financer les entreprises et l’Etat
Mais il faudra probablement aller beaucoup plus loin encore : maintenant qu’on peut créer de la monnaie à volonté, comme le prouvent les Banques centrales, on pourrait se passer de l’épargne pour financer les entreprises et l’Etat, ce qui permettrait de ne plus être dépendants des investisseurs. Ça permettrait ainsi d’éviter la fermeture de nombreuses entreprises (et notamment d’usines), mais aussi d’éviter des crises économiques et financières extrêmement graves, comme en Grèce ou en Argentine. Il est important de noter au passage que le financement des Etats par le marché obligataire associé bien souvent à des taux de change flexibles a pour effet d’aggraver la situation des pays les plus fragiles et les moins riches, alors que ceux-ci devraient au contraire bénéficier d’un système de financement qui les soutienne durablement dans leur développement. C’est pourquoi, il serait préférable que les Etats ne fassent pas appel à de l’épargne étrangère, par nature volatile, pour se financer, mais qu’ils créent eux-mêmes la monnaie dont ils ont besoin.
En toute logique, la possibilité d’un financement des entreprises par des actionnaires familiaux ou proches devrait également disparaître, notamment parce qu’elle crée une distorsion injuste entre les entreprises qui ont beaucoup de fonds propres et celles qui doivent emprunter. Mais elle présente également quelques vertus qui méritent qu’on en débatte. Et surtout, l’actionnariat non coté ne me semble pas totalement incompatible avec une économie durable.
Le même questionnement se pose d’ailleurs par rapport au financement participatif, qui mériterait un débat en intelligence collective.
Si on choisissait d’aller au bout de la logique et que l’épargne ne serve plus à financer l’économie, elle ne devrait plus être utilisée par les banques : dans ce cas, elle serait donc entièrement sécurisée, ce qui éviterait le risque de panique bancaire associé au système bancaire actuel qui est très fragile d’un point de vue comptable car il fonctionne sur des probabilités de besoins de liquidités.
- Arrêter de financer les banques par les taux d’intérêt et par la spéculation sur les marchés financiers
Les banques ne devront plus tirer leurs revenus ni des taux d’intérêt, ni de la spéculation sur les marchés financiers : en effet, les taux d’intérêt sur les crédits obligent l’ensemble de la société à emprunter chaque année plus que l’année précédente, sous peine de ne pas pouvoir payer les intérêts dus sur les crédits bancaires. Par conséquent, les banques devront désormais rémunérer leurs salariés grâce aux frais qu’elles facturent pour les services qu'elles rendent, mais également si besoin grâce à des subventions publiques. Elles pourraient rester en concurrence les unes avec les autres, mais avec une mission de service public.
- Concevoir des systèmes de financement favorisant la durabilité
La monnaie devra être créée par les banques et par l’Etat, en fonction des besoins.
Concernant les projets privés ou associatifs, seuls les projets durables pourront être financés : un bilan écologique devra donc être établi au préalable. Ensuite, un comité sera chargé d’établir les modes de financement possibles du projet, en proposant un mélange de crédits bancaires et de subventions publiques, conformément aux règles établies pour chaque secteur d’activités et en fonction d’autres critères (contraintes, ressources et besoins locaux notamment). Mais en aucun cas, le critère de rentabilité ne devra être décisif, car la question principale devra être : le projet est-il utile et durable ? Si oui, quelle doit être la part de crédits et de subventions pour qu’il se réalise et qu’il perdure ?
Par ailleurs, les financements devront être conçus de telle manière que les produits les plus durables deviennent les moins chers (en coût par année de location ou de crédit) et donc les plus achetés (grâce à un mix de crédits à très long terme pour les producteurs comme pour les acheteurs, associés à des garanties longues, comme je le décris plus en détail dans mon livre Ecosophia).
- Créer de la monnaie publique jusqu’à atteindre le plein emploi
Concernant l’Etat, il devra avoir la capacité de créer de la monnaie sous forme de dons (et non sous forme de crédits remboursables comme les banques) et les projets de Service public devront être sélectionnés en fonction de leur utilité et de leur durabilité, mais il ne devrait y avoir aucune limite à la création de nouveaux emplois publics, notamment dans l’Education, la Santé et la Culture, tant qu’ils ont un impact positif sur la société et la planète, ce qui devrait permettre d’atteindre le plein emploi sur tous les territoires sans aucune difficulté et très rapidement (le temps de former les gens). Cela permettra aussi de financer le système de santé à la hauteur des besoins. Concernant le système de retraites, le niveau des pensions sera déterminé en fonction des besoins et de critères écologiques (un niveau de pensions trop élevé pouvant avoir des effets destructeurs pour l’environnement).
Par ailleurs, des institutions seront chargées de veiller au contrôle de l’évolution des prix.
- Stabiliser les prix de l’immobilier grâce à une institution publique
Une première institution sera responsable de la stabilité des prix sur le marché de l’immobilier : elle sera chargée de racheter les logements à vendre à un prix qui permette d’éviter que les propriétaires ne réalisent une plus-value immobilière. Puis elle sera chargée de vendre ce bien au prix d’achat (sans commission), avec éventuellement un tirage au sort qui remplacera l’octroi du logement au plus offrant. Il y aura donc un service public de l’immobilier. Dans ce cadre, on peut imaginer qu’il n’y ait plus de locations immobilières, chaque ménage étant propriétaire de son logement, ce qui réduira les inégalités et facilitera la gestion de périodes de confinement (puisqu’il est beaucoup plus facile de décaler des mensualités de crédit immobilier que de décaler le paiement de loyers).
- Maîtriser l’inflation grâce à la destruction monétaire publique
Une deuxième institution sera chargée de veiller à la stabilité des prix des biens et services de consommation courante qui dépend essentiellement de deux facteurs : l’absence de pénuries sur le marché et l’absence d’excès de monnaie par rapport aux biens et services disponibles. La création monétaire publique étant potentiellement illimitée et se faisant sous forme de dons, il va de soi qu’il va falloir détruire de la monnaie, puisque jusque-là la destruction monétaire se faisait au travers des remboursements de crédits bancaires, d’autant plus qu’il sera probablement nécessaire de ralentir l’activité économique, autrement dit de faire de la décroissance, et donc de réduire la quantité de monnaie en circulation. Par conséquent, de la monnaie sera détruite en permanence grâce à des prélèvements obligatoires qui permettront également de réduire les inégalités.
- Maîtriser les taux de change grâce à un nouveau système monétaire international
Un système monétaire international stable devra être établi, avec des taux de change qui seront déterminés en fonction de la parité de pouvoir d’achat et non en fonction de la spéculation sur le marché des changes.
En conclusion, si on fait la synthèse de l’ensemble des règles du jeu que je propose, il me semble qu'elles sont :
- beaucoup plus cohérentes, plus logiques et plus simples que le système actuel
- compatibles avec la recherche de durabilité
- en mesure de satisfaire les besoins des générations présentes et à venir
Mais bien sûr, cela exige de préciser certaines règles dans les détails : notamment quel usage sera fait de la création monétaire publique dans le financement des entreprises (sachant qu’aujourd’hui de très nombreuses entreprises reçoivent déjà des subventions, au démarrage, pour la recherche ou en raison de leur secteur d’activité, par exemple pour les activités culturelles ou sociales).
Cette réforme devra se faire au niveau mondial. Et qu’on ne me dise pas que c’est impossible, que c’est trop compliqué, que jamais tous les pays du monde n’arriveront à se mettre d’accord, car de toute façon on va être obligé de réformer les règles du système monétaire et de la comptabilité, sous peine de condamner l’Humanité et tous les êtres vivants à vivre un enfer.
Donc ce qu’il nous faut désormais, c’est proposer un système monétaire et financier cohérent, efficace (c’est-à-dire qui permette d’atteindre les buts recherchés en matière de satisfaction des besoins et de durabilité) et qui permette de réduire le plus possible la pauvreté et les inégalités.
Et l'idéal serait que ce système monétaire suscite l’adhésion du plus grand nombre.